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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

sein un travail fort divisé et des machines très-puissantes, car le capital, cette substance de toutes les améliorations, ne se multiplie qu’à ce prix. Sans la concurrence, qui pousse chacun à s’ingénier à produire dans les meilleures conditions, le travail se divise peu, le nombre des machines nouvelles se réduit. Éloquent et paradoxal censeur de l’économie politique, dont vous faites l’assemblage de toutes les contradictions[1], vous aussi vous accusez la division du travail et les machines d’écraser, d’abrutir l’ouvrier ou de l’asservir ; vous commentez la phrase de Lemontey : « C’est un triste témoignage à se rendre de n’avoir jamais fait que la dix-huitième partie d’une épingle, » Croyez-vous par hasard que le travailleur qui ferait l’épingle tout entière aurait plus d’esprit que celui qui n’en fait que cette fraction, et ne savez-vous pas que l’ouvrier des villes, qui travaille avec l’aide des machines, a en général l’intelligence plus éveillée que les paysans, et surtout que les peuples qui se passent de machines, de tous les plus arriérés ? J’avoue qu’aujourd’hui, sous l’empire de la division du travail, nos ouvriers poussent la spécialité à un point tel que quand leur travail habituel vient à leur manquer, ils ne savent que devenir. C’est à l’éducation que nous demanderons de corriger ce grave défaut qui équivaut pour l’ouvrier à une vraie servitude. Mais en thèse générale accusons l’excès du travail et non sa division. Déplorons que trop d’hommes ressemblent à des machines, mais bénissons ces auxiliaires de bois et de fer qui prennent la partie la plus pénible du labeur matériel. Voila déjà longtemps que l’économie politique répète aux

  1. On sait que le livre de M. P.-J. Proudhon, intitulé Système des contradictions économiques, repose sur cette idée que non pas seulement l’économie politique, mais le monde économique lui-même forme un tissu de contradictions.