Page:Baudrillart - La Liberté du travail, l’association et la démocratie.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

en général les mesures qui y portent atteinte. L’éminent économiste n’aime pas plus que nous plusieurs de ces fusions qui s’opèrent sous nos yeux, ces concentrations exagérées de services faits pour rester individuels, ou pour être remis entre des compagnies rivales. M. Mill fait l’éloge des esprits originaux et des caractères fortement trempés. Il admet que la démocratie ne saurait se passer d’intelligences avisées, de travailleurs énergiques et ingénieux, de capitalistes qui labourent avec une hardiesse féconde le champ de l’industrie ; eh bien ! tâchez donc d’en former dans l’absence d’une forte concurrence et d’une vive émulation  !

Il y a longtemps déjà qu’a commencé cette querelle faite par la démocratie ou en son nom à une des formes inséparables de la liberté économique. C’est un excellent démocrate, un cœur généreux, une belle intelligence, M. de Sismondi, qui a donné cet exemple d’attaquer au nom de l’intérêt populaire, la concurrence, l’industrie, les machines, la division du travail, et ouvert ainsi la voie à ceux qui ont réclamé des règlements pour en modérer l’essor. Il eût été mieux de laisser ce genre d’attaque à J.-J. Rousseau qui regrettait la vie sauvage, à M. de Bonald qui regardait comme diabolique l’invention des banques et celle du télégraphe (même avant le télégraphe électrique), à l’éloquent et fougueux M. Donoso Cortès, qui flétrissait, il y a peu d’années en plein parlement espagnol l’économie politique comme apprenant aux hommes à s’agenouiller devant le veau d’or, et enfin à tous les mystiques de notre temps, gens fort épris de la pauvreté tant qu’il ne s’agit que des autres. La démocratie française veut le perfectionnement des produits, leur abondance ; elle veut l’aisance, et il faut l’en féliciter car l’aisance générale, c’est la dignité pour le grand nombre ; l’aisance, c’est la liberté elle-même, si l’on envisage l’homme dans ses rapports avec la nature et