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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

core il resterait à se demander si des êtres libres et faillibles ne sont pas mille fois supérieurs à des automates impeccables. Les jésuites du Paraguay avaient bonne intention, les Indiens qui leur obéissaient avec une docilité d’enfants n’étaient pas sans de bonnes qualités, et pourtant … quel triste gouvernement et quel triste peuple ! Le grand souci des lois doit être qu’en prévenant le mal elles n’empêchent pas le bien et ne produisent pas plus de mal qu’elles n’en préviennent. Prenez donc garde de toucher à la liberté humaine ! si ce qui est mauvais sort d’elle, tout ce qui est bon en dérive. On ne peut l’atteindre sans frapper l’humanité au cœur. L’expérience a réfuté cent fois cette assertion si souvent répétée encore par les organisateurs que l’autorité, voyant de plus haut, voit mieux. C’est justement parce qu’elle

voit de plus haut et de plus loin qu’elle voit plus mal.

Quant à la maxime que le droit de l’État est supérieur à celui des individus, je dirai tout simplement qu’elle m’épouvante. Pour peu qu’on la presse, on ne tarde pas à en voir sortir toutes les oppressions. La supériorité de l’État sur les individus, qu’est-ce ? Rien de plus que la nécessité d’une autorité investie de la tâche de réprimer le désordre et de quelques autres attributions très-limitées. Prise absolument, je ne sache au monde rien de plus faux. Il y a des droits préexistants à l’État ; car l’individu lui-même lui préexiste. La loi garantit, elle ne crée pas la liberté et la propriété individuelles ; la sphère du travail notamment appartient à l’activité privée, parce que ce sont les individus qui ont le droit et le devoir de vivre par le travail, et non pas l’État qui a le droit et le devoir de les faire vivre. Qu’est-ce que l’Etat d’ailleurs ? Hier, c’est Louis XIV, aujourd’hui, c’est Robespierre ou Danton ; demain, ce sera Napoléon ; après demain, ce sera de nouveau le roi légitime. À propos d’une loi très-dure