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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

cette question deux réponses. D’abord la réglementation joue encore un grand rôle dans notre société. Elle y tient une telle place qu’on aurait beaucoup plus à faire d’énumérer tout ce qui est réglementé que ce qui ne l’est pas. Je ne parle même pas ici des monopoles qui subsistent, je n’indique que les interdictions trop générales de se livrer à certaines professions, la nécessité de l’autorisation préalable, et tous les règlements abusifs qui attestent toute la part faite au système préventif. L’exemple est donc tentant. La seconde réponse, c’est qu’il est dans notre nature de recourir à la réglementation pour le bien comme pour le mal ; la philanthropie s’irrite des lenteurs inséparables de la liberté et trouve le recours à l’autorité plus expéditif et plus sûr. Réglementation des heures de travail, réglementation des salaires, réglementation des prix, réglementation partout, même en faisant au préalable un salut à la liberté. L’intérêt populaire est aujourd’hui le grand mobile de l’esprit réglementaire dans les écoles dites avancées, de même que les écoles arriérées persistent à l’invoquer dans l’intérêt de la bonne qualité du produit.

Comment s’en étonnerait-on ? On a beau être révolutionnaire, on porte en soi une tradition : Robespierre imitait les procédés de l’inquisition ; la Convention a poursuivi le même but de centralisation absolue que Louis XIV ; la République s’est permis au nom du peuple plus d’excès encore que la monarchie absolue au nom de l’État. La tradition de la France, c’est la réglementation. Toutes les libertés ont d’abord été des privilèges. Le roi se croyait propriétaire des biens et des personnes, les sujets n’étaient censés avoir le droit naturel ni de travailler, ni de posséder. Ils ne l’exerçaient que comme usufruitiers, par tolérance ou par octroi. Cette doctrine, qui était celle de Louvois et de la Sorbonne, et qui s’affiche dans bien des documents