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L’ÉCONOMIE POLITIQUE ET LA DÉMOCRATIE.

ne veut pas que, sous prétexte de faire le bien, la charité aboutisse à la tyrannie. C’est encore Armand Carrel qui l’a dit. « On sera peut-être disposé à des sacrifices héroïques, mais les plus grandes violences n’arrêteront pas. On soutiendra que la morale ne veut pas qu’on laisse mourir son frère de faim et de maladie en se livrant au plaisir et à la bonne chère ; mais en soutenant cela contre les riches on ne s’apercevra pas, dans son emportement, que la même morale défend encore bien plus de tuer son frère sur une différence d’intérêt ou d’opinion. Établir la fraternité par la proscription de quiconque aura été signalé comme égoïste, poursuivre par l’extermination un but d’humanité, tel a été le contre-sens moral de la Révolution. »

Est-ce une raison suffisante pour que l’État sous l’expresse condition d’une grande prudence et d’un profond respect pour la liberté, ne fasse pas la moindre part à l’assistance matérielle, intellectuelle et morale ? L’abandon des ignorants, des faibles, des indigents, saurait-il être érigé en système, et lorsque l’association libre n’est pas prête ou ne suffit pas au soulagement de la misère, n’y a-t-il pas plus d’avantages que d’inconvénients à en charger l’État, en lui imposant toutes les conditions de réserve, de responsabilité et de publicité qui peuvent empêcher son action de dégénérer en abus ? Maintenons d’ailleurs à ces attributions le caractère de concessions, et que le dogme de la fraternité imposée ne trouve pas accès auprès de nous.

De quoi a-t-il besoin surtout ce monde du travail et de quoi a besoin la démocratie ? Redisons-le sans cesse du sentiment de la responsabilité individuelle. Avec ce sen-