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DU PROGRÈS.

veut entendre qu’il n’en a pas et que l’homme doit devenir un dieu. Il y aura toujours dans l’homme moral, quoi qu’on fasse, quelque chose qui justifie le mot : omnis creatura ingemiscit. Voilà la première raison pour ne pas céder à l’éblouissement du progrès.

Je termine en disant quelques mots d’une autre raison non moins forte de ne pas se laisser aller à une sorte d’enivrement qui serait fatal au progrès lui-même. Ce progrès a été mis à des conditions sévères, qui, elles non plus, ne doivent point disparaître. On souffre quand on voit des hommes remplis des meilleures intentions venir avec la plus parfaite assurance nous proposer des plans d’organisation du travail ou des projets de crédit qui doivent du jour au lendemain faire couler l’abondance au sein des classes les moins avancées, que retiendrait seul dans un état d’imperfection le mauvais vouloir de quelques hommes égoïstes ou aveugles. Que c’est là mal connaître l’humanité et la loi de progrès laborieux qu’elle suit ! Le prix auquel s’est obtenu le progrès économique, auquel il s’obtiendra toujours, c’est l’éducation pénible de la liberté humaine, s’éclairant et se moralisant davantage, et trouvant sa force dans sa règle. La liberté n’est pas séparable de son bon emploi ; elle suppose la raison ; elle exige le devoir ; elle implique la sagesse dans l’esprit, la modération dans le cœur. Elle est le contraire de l’instinct brutal qui ne sait que détruire. Aussi a-t-on dit avec raison que la liberté, cette condition et cet instrument du progrès, est autre chose qu’un droit, qu’elle est une charge, un privilége acquis à titre onéreux, qu’on perd et qu’on aliène par le mauvais usage, constituant ainsi comme une propriété morale qui exige beaucoup de soin, une surveillance attentive et perpétuelle, ainsi que la propriété matérielle elle-même, qui ne se maintient et ne se développe que par la continuité des efforts. Voilà la liberté qui, depuis le commencement de la vie