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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

faisants dans une journée, dans une année, en abrégeant la distance des moyens aux fins, par les machines, par les voies de communication, par tout l’ensemble de nos méthodes. On paraît redouter, il est vrai, quelquefois, que ce progrès ne soit destiné à s’évanouir par la destruction des instruments qui l’ont servi, ou par l’invasion de nouveaux barbares, comme si la civilisation n’avait pas conquis ses barbares vainqueurs, il y a plus de douze siècles, comme si ses luttes avec la barbarie n’étaient pas signalées par des succès croissants, comme si les découvertes, secret souvent gardé dans l’antiquité par un patriotisme ombrageux, n’étaient pas maintenant répandues en tous lieux, comme si l’imprimerie n’avait pas multiplié tous les livres, et n’était pas elle-même la garantie de la durée de toutes les sciences, de tout ce qui a été trouvé ou pensé d’utile, et comme la gardienne de ce capital intellectuel dont le plus sûr asile est dans toutes les têtes pensantes, en quelque contrée que ce soit, et dans la mémoire fidèle de l’humanité.

Qu’elle qu’en soit la grandeur, et bien qu’on s’explique qu’il ait pu donner le vertige, un pareil spectacle ne doit inspirer aucune ivresse à la démocratie, trop souvent prompte à s’en exalter. Il a, je le répète, ses ombres. Elles disparaîtront en partie, en partie il les gardera. L’homme sent en lui un vide que la terre ne comblera jamais, quand même il arriverait à en disposer par sa puissance, comme ces génies qui, dans les contes de fées, font obéir toutes choses à leur volonté. Le miracle de l’immortalité ou du moins d’une vie d’une longueur prodigieuse sur la terre, miracle rêvé et annoncé par Condorcet, ne saurait se réaliser, parce que la nature physique de l’homme a des bornes comme ses facultés intellectuelles. Vrai, si l’on veut désigner par ce mot l’incertitude où nous sommes de ses limites qui sur quelques points, reculent sans cesse, le progrès indéfini est une chimère, si l’on