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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

pour opérer le progrès. Tout l’artifice de la civilisation consiste à l’obtenir, si je puis dire ainsi, au meilleur marché possible. Quand ce genre de perfectionnement qui consiste à supprimer ou à rendre très-rares les révolutions pour obtenir le progrès sera bien définitivement acquis au genre humain, tous les autres suivront d’un pas rapide ce que je dis des révolutions, je le dis aussi de la guerre ; plus elle sera traitée comme un procédé arriéré, imparfait, pour répandre la civilisation, comme une machine en un mot qui consomme plus qu’elle ne rapporte, plus il faudra s’en applaudir. Mais ce dernier progrès n’est pas moins éloigné, je le crains, que celui qui consisterait à supprimer les révolutions de la face du monde, et la Chine qui s’ouvre au bruit du canon, aussi bien que l’Inde et l’Algérie où il se tait à peine, ne disent que trop que nous n’en sommes pas encore arrivés à ce progrès si désirable.

Je n’ai en aucune sorte le désir de rabaisser les anciens, nos maîtres, non en toutes choses, comme on l’a prétendu, mais en beaucoup de choses. Le mot de grandeur s’applique bien à eux. On n’a pas eu plus de grandeur dans la poésie qu’Homère, peut-être que Lucrèce. On n’a pas montré plus de grandeur dans la conquête et dans l’esprit civilisateur qu’Alexandre. On n’a pas pensé, on ne rêvera jamais avec plus de grandeur que Platon. On n’est pas mort avec plus de grandeur que Socrate. Cela n’empêche pas, si l’on met de côté une rare élite, qu’il y avait dans les mœurs privées de l’antiquité une brutalité, une grossièreté, une sensualité, dont il n’y a pas lieu d’ailleurs de s’étonner. Le paganisme seul n’en donne pas la clef. Ces défauts sont les traits communs et persistants des peuples guerriers et des peuples à esclaves. Dans l’ordre privé, je ne crois pas me tromper en affirmant que les vertus bourgeoises, ces vertus modestes qui font, il est vrai, peu de bruit, qui n’affectent en rien les airs sublimes du stoïcisme, et qui eussent paru infiniment méprisables aux