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DU PROGRÈS.

Je crois avoir établi et rendu sensible cette pensée que bien réellement l’homme moderne, considéré comme être intelligent, a acquis non-seulement de nouvelles sciences, qui ont leurs applications aux faits économiques, mais de nouvelles idées morales, et particulièrement cette idée de la responsabilité, cette idée de la valeur de l’individu, à titre d’homme, peu connue de la masse chez les anciens, et vrai fondement de la démocratie chez les modernes. Pour compléter ce développement, il faut ajouter aussi que l’homme moderne, et ceci n’est guère contesté, se fait de la sociabilité une tout autre idée. L’égalité morale du genre humain est de foi commune, et c’est ce qui fait que t’avénement de la démocratie, même chez les peuples qui en semblent le plus éloignés, n’est plus aujourd’hui qu’une question de temps. On ne croit plus à la distinction de deux sortes de nature humaine, l’une libre et l’autre esclave, l’une grecque ou romaine et l’autre barbare, distinction universellement admise par les deux grands peuples civilisés de l’antiquité. Il n’y a aujourd’hui pas une école, pas un parti qui théoriquement n’admette et ne montre bien visiblement sur sa bannière ce mot de caritas generis humani, si surprenant dans la bouche de l’orateur romain.

III

Pour nier la réalité du progrès, il faudrait soutenir que les doctrines en s’épurant n’influent point sur les actes, que les principes et les faits ne tendent point à se rapprocher et à s’unir, ce que l’histoire et l’expérience contredisent formellement. Le progrès pratique consiste en cela même que ce rapprochement de la théorie et de la pratique s’opère, et que non-seulement il s’opère, mais qu’il s’effectue plus facilement, à l’aide de moins de perturbations, de moins de révolutions. Les révolutions sont un procédé grossier, un procédé en outre des plus coûteux