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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

nous allons le voir aussi, infiniment plus propre à le fortifier dans sa conscience individuelle, de sa nature et de sa destinée que ne s’en faisait l’immense majorité chez les anciens. L’homme moderne s’attribue une grande valeur à ce titre-là seulement qu’il est homme. Il se respecte et il veut qu’on le respecte à ce titre. Qu’il ait acquis cette idée sous l’influence du christianisme, que le fait de l’avènement des races du Nord, profondément pénétrées de la valeur de l’individu, y ait aussi contribué, toujours est-il que cette idée, il l’a, et qu’il ne paraît pas avoir envie de s’en départir.

Rien n’est si nouveau dans le monde qu’un tel sentiment, surtout comme fait général, et si j’avais à démontrer par des exemples une proposition que je me contente de poser en quelque sorte comme un principe dont l’économie politique et la démocratie tirent le parti le plus fécond, je crois qu’ils ne me manqueraient pas ; et, sans parler ici en prédicateur, au risque peut-être de scandaliser bien des personnes, je crois qu’il ne serait pas impossible de montrer qu’à ce point de vue le grand César était bien inférieur à une bonne femme d’aujourd’hui. César connaissait la gloire, de même que ses contemporains, qu’il éblouissait et qu’il dominait, connaissaient l’admiration et la crainte. Mais ni l’un ni les autres ne connaissaient guère le respect qu’on se doit à soi-même et qu’on doit aux autres à titre de personne morale. Aujourd’hui la plus humble femme, ignorante et ignorée, regarde son âme comme étant d’un prix infini, elle porte à ses actions un soin attentif. Cette idée que rien n’est indifférent, quelle révolution dans le monde ! Ce souci de la personnalité chez soi et chez les autres, ce sentiment de la responsabilité descendu dans les masses, qu’on tâche, si l’on peut, d’en calculer la portée au seul point de vue de l’activité humaine et de ses résultats les plus terrestres. Je ne suis ni la propriété d’un autre ni la