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DU PROGRÈS.

dessus d’eux, le côté moral de l’humanité. Je prétends seulement ne pas les immoler. Je ne sais que trop bien que la richesse a ses corruptions, comme la misère a ses tentations et ses vices. Il est rare d’ailleurs que tout ce qui entre dans la civilisation y marche d’un pas égal. Certaines époques ont vu les sciences prendre un admirable essor, se répandre avec hardiesse, avec fécondité dans toutes les directions, et en même temps les arts s’amoindrissaient, s’abaissaient ; notre dix-huitième siècle en est la preuve. Quelquefois on verra, par un autre genre de contraste, les sciences physiques cultivées avec ardeur et succès, les sciences morales relativement tenues dans l’ombre. Tantôt c’est vers la théorie pure qu’on inclinera avec excès, tantôt c’est la pratique qui paraîtra trop dominer. Qu’y faire, sinon lutter contre les inconvénients des choses sans renoncer aux choses mêmes et sans calomnier les biens qu’on possède ? Mais ce qui est moins contestable que tout le reste, moins contestable que les inconvénients que peut présenter au point de vue moral le bien-être matériel, si l’on en fait abus, ou si on y sacrifie la partie la plus élevée et la plus délicate de l’âme humaine, c’est la relation étroite, intime, nécessaire, qui unit entre elles la civilisation morale et la civilisation matérielle qu’on oppose sans cesse l’une à l’autre avec une défiance, avec un acharnement selon moi un peu puéril.

La société comme l’individu est esprit et corps, et ce corps et cet esprit sont unis inséparablement. L’un souffre avec l’autre. Sans cette industrie qui ne subvient encore qu’avec trop d’insuffisance aux besoins de cette masse si laborieuse pourtant, aux besoins de cette société qui n’a jamais tiré quotidiennement de son sein plus d’efforts, je demanderai donc où en seraient ces lettres, ces sciences et ces arts, que feraient et que seraient ces lettrés, ces savants et ces artistes, où en serait cette vertu dont on prend en main les