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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

terme inévitable, et si nous ne touchons pas à la fin des temps ?

Il est une nuance plus commune de l’opinion défavorable à la perfectibilité ; elle oppose le progrès économique à tous les autres progrès ; elle voit dans ce progrès même comme un signe de corruption, la marque à peu près certaine d’un état moral qui décline et s’affaisse. Quel est celui d’entre nous qui n’a pas entendu déclarer le bien-être matériel incompatible avec ce culte du vrai, du bien et du beau, honneur de la civilisation, et qui en est le signe le plus distinctif ? C’est un reproche contre lequel tout d’abord il me semble que proteste l’histoire tout entière. C’est quand elles étaient au plus haut point de leur prospérité industrielle et commerciale, que Venise et Florence dans les temps modernes, Athènes dans l’antiquité, ont été le centre des arts. Bien loin de gagner à l’affaiblissement de ce ressort énergique, qui poussait une population intelligente et active vers l’acquisition de la richesse, le noble culte du beau a paru y dépérir en même temps que la recherche de l’utile. L’industrieuse Hollande n’est-elle pas la mère d’une des plus grandes écoles de peinture ? L’Angleterre manufacturière n’a-t-elle pas produit de très-grands poëtes, les poëtes mêmes de la mélancolie, de la rêverie ? Watt et lord Byron ont la même patrie. Mais, dit-on, n’y a-t-il pas une certaine fleur de délicatesse dans les sentiments, une certaine élévation d’âme, un certain goût du grand en toutes choses, dans les arts comme dans la pensée, qui rencontrent des obstacles dans la prépondérance trop exclusive accordée aux intérêts ? N’est-ce pas le péril, si ce n’est le caractère déjà de notre société démocratique, de voir dominer partout un certain terre-à-terre dans les vertus comme dans les idées ? C’est une objection, c’est un danger que je n’ai point à discuter ici. D’abord, je ne défends pas la prépondérance des intérêts. Je mets au--