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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET L’ÉTAT.

historique, la liberté économique, du moins une certaine somme de liberté économique, a presque toujours précédé la liberté politique[1]. C’est sensible chez les peuples modernes. Que la liberté politique forme par elle-même un but digne de toutes leurs poursuites, ce n’est pas nous qui le contesterons. Mais il est vrai aussi que les peuples l’ont le plus souvent réclamée à titre de moyen, de garantie, de sauvegarde. Dans leurs revendications énergiques et quelquefois à main armée de la liberté politique, de quoi s’est-il agi avant tout ? De la propriété du travail et de ses fruits à protéger ; il s’est agi d’empêcher que l’impôt ne fût ordonné sans être consenti, dépensé sans surveillance et sans contrôle. Pourquoi oublier que ce sont presque toujours ces blessures faites ou ces craintes inspirées aux intérêts qui ont poussé les nations à chercher dans les constitutions des abris plus sûrs contre les atteintes de pouvoirs sans frein ? Les soulèvements des communes et les chartes qui furent le titre écrit de leur affranchissement, l’impôt sur le thé pour les colonies américaines, l’état déplorable des finances pour la Révolution française, n’ont-ils pas été les occasions et en partie les causes de ces mouvements qui eurent pour objet la liberté de deux grands peuples ?

La question des limites de l’État se pose ici inévitablement en face de la liberté individuelle. L’économiste ne trouve ni à la traiter moins de difficulté ni moins d’intérêt à la résoudre que le politique. L’intervention de l’État dans l’industrie est la forme sous laquelle elle se pose à lui. J’ai eu l’occasion de dire que l’économie politique est

  1. Dans l’ouvrage que j’ai déjà cité, les Assemblées provinciales avant 1789, M. Léonce de Lavergne soutient que c’est la liberté politique qui précède et doit précéder la liberté économique ; je crois plutôt le contraire, autant qu’on peut séparer ces deux ordres de libertés, et j’essaye d’en dire ici les raisons.