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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET L’ÉTAT.

plique à la question qu’il lui plaît de poser, «s’il ne faut pas, pour que les uns soient extrêmement libres, que les autres soient extrêmement esclaves. » Ce doute étrange dans la bouche d’un philosophe et démocrate moderne, Aristote avait pu sans scandale le résoudre dans le sens d’une affirmation méprisante pour la majorité de l’espèce humaine. Il n’avait pas derrière lui dix-huit siècles de christianisme et d’une civilisation plus avancée. La théorie des hommes de loisir, vaquant à la philosophie et à la politique, pendant que la multitude abrutie portait le poids du travail matériel, sans droit aucun comme sans espoir d’un meilleur lendemain, était ce que l’antique sagesse avait su trouver de mieux à dire aux masses humaines. Comment ne pas s’applaudir même qu’Aristote ait songé à plaider la cause de l’esclavage, puisque la plaider, c’était la perdre  ? Une liberté oligarchique, une liberté vivant du sacrifice de millions de libertés individuelles nous fait horreur. C’est à nos yeux comme une religion qui se nourrirait du sang des victimes humaines.

La liberté économique se mêle à tout, parce que le travail est partout, j’allais dire est tout dans la société moderne ; peut-être ne serait-il pas absurde en effet de soutenir que la liberté du travail équivaut presque à la liberté tout entière, puisque tout exercice régulier des facultés humaines est un travail, et qu’il y a un travail religieux, philosophique, politique, scientifique, comme il y a un travail matériel mais, sans forcer le sens accepté des mots, et en réduisant la liberté du travail à n’être que le libre exercice des industries, que la liberté de ce travail spécial auquel l’homme demande ses moyens de vivre, son pain quotidien, travail auquel il consacre tous les jours dix à douze heures, comment nier qu’un fait qui occupe une telle place ne doive avoir les conséquences civiles et politiques les plus graves ? D’abord, n’est-ce pas au point de vue démocratique une chose importante, capitale, presque