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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

plus médiocre. Ainsi il est des cas où l’émigration même de ceux qui ont des ressources pour vivre rapporte plus au pays de provenance qu’elle ne lui emporte. Mais il faut reconnaître que le plus généralement la masse émigrante est poussée, comme en Irlande, par une inexorable misère. Alors l’émigration révèle plus sensiblement encore ses bienfaits. Elle supprime la charge qui accablait la masse sous la forme de secours publics à donner et la délivre de la concurrence que faisait à son travail le nombre exagéré des bras. Figurez-vous une chambre pleine où l’on se serre les uns contre les autres ; l’air manque, plusieurs déjà sont asphyxiés, d’autres vont l’être, tous souffrent horriblement ; peu à peu le nombre excessif de ceux qui se pressaient dans cet espace rétréci s’écoule, on respire enfin plus à l’aise, on recommence à vivre. Substituez ici à l’air l’aliment, aux dernières limites duquel on se presse, et vous aurez l’explication et l’image des pays d’où l’émigration s’échappe à flots abondants et par courants réguliers presque chaque année.

Mais les émigrants, quel sera leur sort ? Qui les Consolera de la patrie, de la famille absentes ? Ah ! c’est de ce côté surtout que doit se porter la sympathie éclairée de la politique et de l’économie politique. Renoncer à ses habitudes, quitter tout ce qu’on aime, dire adieu à ses vieux parents, quelquefois à ses enfants que l’on compte secourir de loin, affronter le nouveau et dur travail de la colonisation et du défrichement, et pour prix de ces épreuves ne rencontrer peut-être que déceptions, nulle destinée n’est pire que celle-là. Il ne faut pas jeter un voile sur ces misères trop fréquentes de l’émigration. Il faut, c’est un devoir lorsqu’on s’adresse aux masses, rappeler ces ravages terribles exercés par la maladie sous un climat étranger, au milieu des circonstances les plus défavorables. Les gouvernements ont voulu trop souvent à tort et à travers diriger l’émigration. Ils auront rendu un service