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LA POPULATION ET LE SYSTÈME DE MALTHUS.

ne soit rendu personnellement responsable de la faim, de la peste et de tous les fléaux déchaînés sur le monde. Du moins a-t-on été plus juste à l’égard des médecins : on n’a pas encore dit d’eux qu’ils eussent inventé le choléra.

Ce qu’il faut maintenant reconnaître, c’est que l’économiste anglais a beaucoup trop assombri les couleurs du tableau, beaucoup trop diminué la part du bien, beaucoup trop rejeté sur les ouvriers la responsabilité qui appartient aux mauvaises lois, à ces lois de privilége dont, à cette époque, son pays était la victime, lois des pauvres, lois prohibitives de l’entrée des céréales étrangères, etc. Pénétré de l’énergique puissance du principe de population, proclamant lui-même que les remèdes qu’il conseille ont peu de chances de triompher d’une imprévoyance qui n’est nulle part plus difficile à vaincre que dans les classes mêmes pour lesquelles elle est un danger plus redoutable, il paraît croire que le genre humain est éternellement condamné à se presser aux dernières limites des subsistances, jusqu’à ce que des causes funestes, agissant avec une continuité déplorable et pourtant nécessaire, aient rétabli l’équilibre. Ici se présentent des objections dont je ne pense pas que les défenseurs de Malthus aient triomphé. Qu’est-ce que cette limite des subsistances d’abord ? Qui pourrait l’assigner ? Combien est petite encore la portion de terre cultivée Combien la culture est-elle encore éloignée, par l’imperfection de ses procédés, de procurer ce qu’elle peut fournir d’aliments ! Combien de moyens encore à naître et dont nous entrevoyons seulement quelques-uns (la pisciculture par exemple) peuvent en augmenter la masse ! Que de ressources offrent et le commerce et l’émigration ! — Ressources insuffisantes et momentanées, s’écrient les défenseurs absolus du système de Malthus. À peine une ressource est créée que le principe de population se développe avec une nouvelle intensité, et a bientôt dévoré l’excédant de nourriture et d’espace qui lui