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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

puis trop longtemps, dans une mesure étendue, les conseils de Malthus, pour que ces conseils, produits sous une forme abstraite, puissent justement exciter l’étonnement, bien moins encore l’indignation. Il n’y a que les honteux commentaires de quelques disciples fanatiques et compromettants qui méritent ce blâme, ou, si quelque chose en est digne encore, c’est cette prédication faussement philanthropique qui pousse les malheureux à une multiplication désordonnée, féconde seulement pour la souffrance et pour la mort.

Ce ne sont point des exagérations, des erreurs mêmes, qui peuvent compromettre des vérités si palpables. S’il suffisait au jeune ouvrier, au pauvre employé, à ce petit bourgeois qui essaie en vain de cacher sa misère sous une redingote ou un habit noir, de dire « Je travaillerai, oui, je travaillerai, s’il le faut, dix ou douze heures d’un travail pénible pour subvenir aux besoins de ma famille, » la difficulté même pourrait être un aiguillon de travail ; la famille, qui fait naître des habitudes d’épargne, n’aurait que des effets moralisants. Mais l’infortuné travaille en effet ce nombre d’heures, quelquefois davantage, quand la maladie ou les autres causes de chômage ne le forcent pas d’interrompre son dur et monotone labeur ; cependant Dieu sait comment il lui arrive de s’en tirer. Encore une fois, interrogez la statistique, ici trop bien informée, demandez-lui le chiffre comparatif de la mortalité des pauvres et des gens aisés, en ce qui regarde l’âge mûr et l’enfance, voyez où en sont trop souvent vos populations de prolétaires. En vérité, il semblerait, pour ceux dont l’optimisme prêche la cause de l’imprévoyance, que la misère, que l’impossibilité de nourrir un grand nombre d’enfants et de les élever, c’est-à-dire d’en faire des hommes utiles et civilisés, sont des fables imaginées par des économistes à l’humeur noire, n’ayant point d’yeux pour voir le spectacle de la félicité universelle que présente le monde. Peu s’en faut que Malthus