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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

est la suite inévitable, à la merci des entrepreneurs d’industrie. Ainsi l’intérêt, du moins immédiat, des capitalistes est que la classe ouvrière pullule à l’excès pour obtenir le travail au rabais ; l’intérêt des travailleurs est qu’ils soient limités quant au nombre pour soutenir le débat avec plus d’égalité et s’assurer de meilleures conditions. Avec les bas salaires de plus en plus poussés vers le minimum, voici venir la misère, la dégradation physique et morale, la barbarie ; à la suite des salaires élevés comme régime habituel et normal, marche l’aisance avec les habitudes de dignité qu’elle engendre, le développement intellectuel naissant du loisir, la civilisation en un mot pénétrant de plus en plus les dernières couches de la société.

On s’est beaucoup récrié contre la fameuse proportion géométrique suivant laquelle s’accroît la population, selon Malthus. Quand Malthus osa écrire que, lorsque ce mouvement d’accroissement ne rencontre point d’obstacle, la population opère son doublement au moins en vingt-cinq ans, ce qui suffirait avec une effroyable rapidité pour qu’une seule famille donnant six enfants à chaque génération couvrît toute la terre, on traita cette assertion d’hypothèse romanesque. Cependant les faits, qui déjà lui donnaient raison, se sont accrus en nombre et en importance depuis que nous avons pu lire dans le développement de l’Amérique, comme dans un livre ouvert sous nos yeux pour l’instruction du vieux monde. Quoi ! vous niez la proportion géométrique de Malthus, et la population de l’État de New-York est devenue sept fois plus considérable de 1790 à 1840, en cinquante ans, et neuf fois plus considérable de 1790 à 1850 ; la population de l’Ohio a récemment triplé en vingt ans, et quadruplé en trente ans, de 1820 à 1850 ; en cinquante ans, la Pensylvanie a juste quadruplé. Où cela irait-il, grand Dieu ! si l’espace et l’aliment ne faisaient défaut ? Demandez ce qui arriverait si rien ne contrariait la force