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LA POPULATION ET LE SYSTÈME DE MALTHUS.

Tel était l’homme dont les écoles socialistes ont voulu faire une sorte d’ogre se nourrissant de victimes humaines. Ce terrible Malthus était un doux ministre anglican, plein de tolérance et de lumières, à la fois un chrétien fidèle et un homme du XVIIIe siècle. Ajoutez que ce prétendu ennemi de la population était père d’une nombreuse famille. Lorsque Malthus entrait dans quelque salon suivi de tous ses fils et de toutes ses filles, cela prêtait à l’épigramme, mais eût pu suffire au besoin pour repousser la calomnie.

L’épigramme même était-elle fondée ? Malthus contredisait-il le fameux principe de la limitation préventive de la population, en mettant au monde une postérité nombreuse  ? Il s’en serait fort défendu. Selon lui, le devoir prescrivait de ne point donner le jour à plus d’enfants qu’on n’en peut nourrir et élever, et la question de morale dépendait pour chaque famille de l’état de son budget.

De là découle un des principaux reproches adressés à la doctrine de Malthus, celui d’être une doctrine abusivement aristocratique. On lui reproche de faire du mariage et de la paternité des priviléges à l’usage des riches et des gens aisés. Malthus et ses disciples répondent à cette accusation qu’il ne s’agit pas d’interdire le mariage et la paternité aux pauvres, mais seulement soit de retarder l’âge ou l’on se marie pour ceux qui n’ont pas des moyens de vivre suffisants ou suffisamment probables, soit de limiter la fécondité du mariage, par l’exercice d’une vertu sévère que Malthus a nommée la contrainte morale. Ils ajoutent que si ces conseils semblent sévères, ce n’est ni Malthus, ni eux qui sont les auteurs de la loi de population et des effets qui en résultent. Ils soutiennent enfin que, bien loin d’être favorable à l’aristocratie du capital, leur doctrine est démocratique dans le meilleur sens du mot, c’est-à-dire essentiellement favorable aux travailleurs. En effet, plus ils se multiplient au delà du besoin qu’on a d’eux, plus ils se livrent, par la baisse des salaires qui en