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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

la Séauve ne sont point pour eux une spéculation. La nécessité d’entretenir tout ce personnel (Jujurieux ne compte pas moins de 400 ouvrières, Tarare en a au moins le même nombre), cette nécessité pèse sur eux durement quand la crise ferme ailleurs tous les ateliers.

On se récrie contre ce travail cloîtré. Quelques-uns l’ont fait avec une horreur instinctive contre tout ce qui sent la contrainte. Plusieurs ont cru voir là une tentative faite par le clergé pour mettre la main dans l’industrie. Mon Dieu, je ne défends pas cette organisation disciplinaire de l’atelier. Ne peut-on se demander pourtant si ce régime est beaucoup plus dur, par exemple, que celui du collège, dont s’accommodent les familles les plus aisées ? Je suis loin, encore une fois, de voir un idéal dans le casernement, même moralisateur, mais ne faut-il pas reconnaître là un grand bien relatif ? Aimez-vous mieux, sévères censeurs de l’internement, le trottoir sur lequel des malheureuses ouvrières font ce qu’elles appellent cyniquement leur cinquième quart de journée que le couvent industriel ? Pour moi, c’est avec reconnaissance que je vois s’exercer ici au profit des masses cette influence moralisatrice de la religion. Que ceux qui s’en plaignent essaient de la remplacer par quoi que ce soit qui ait le sens commun !

On peut toutefois ne pas aller jusqu’à changer en pensionnats soumis à une sévère discipline ces maisons de patronage. À Mulhouse, un très-modeste couvent catholique, celui des sœurs Cénobies, reçoit à bas prix les jeunes ouvrières, leur donne le coucher et la nourriture, et les laisse libres de travailler dans les ateliers de la ville. Quelques ouvrières restent indéfiniment dans cette maison, qui n’exige d’elles après le rude travail de la journée que de se distraire d’une façon décente ; d’autres y descendent seulement, comme elles descendraient chez des amies, pendant le temps nécessaire pour trouver, avec l’aide des sœurs.