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DE LA LIBERTÉ DU TRAVAIL POUR LES FEMMES.

de moralisation des jeunes filles, très-importants comme faits, plus encore comme germe et comme symptôme. Quelques fabricants lyonnais, en substituant le travail aggloméré au travail dispersé, ont eu l’idée de transformer l’apprentissage des jeunes filles en une sorte d’internat. Telles sont les maisons de Jujurieux pour les taffetas, de la Séauve pour les rubans, et de Tarare, vaste atelier de moulinage, annexé à une manufacture de peluche. Les plus curieux détails sur ces établissements nous ont été donnés par M. Louis Reybaud dans l’ouvrage si intéressant et si complet que nous avons déjà cité. J’aimerais à transcrire ici cette attachante description à laquelle je renvoie le lecteur[1]. La règle de ces maisons est toute religieuse. Ce sont des Sœurs qui y président au gouvernement des âmes comme aux soins de la comptabilité, comme à la surveillance de jour et de nuit exercée sur les jeunes ouvrières. Aussi les a-t-on appelés des cloîtres industriels. Quoi qu’il en soit, en dépit de la sévérité de la règle, en dépit des treize heures de travail exigées des apprenties et de l’engagement de trois années qu’on leur demande, les parents y sont accourus, comme vers un lieu de refuge pour la moralité de leurs enfants. Ces jeunes filles qui s’engagent à y rester trois ans, et qui y demeurent souvent quatre ou cinq années, ces jeunes filles, presque toutes exposées à se perdre lorsqu’elles sont envoyées des pays voisins à Lyon et à Saint-Étienne, reçoivent là une éducation religieuse, de précieux éléments d’instruction ; elles sont nourries et payées, et trouvent facilement à se marier, au sortir de l’apprentissage. Il ne faudrait pas trop reprocher aux fabricants ces treize heures de travail, en effet excessives. Les écoles d’apprentissage de Jujurieux, de Tarare et de

  1. Études sur le régime des manufactures, par Louis Reybaud, membre de l’Institut, p. 197 et suiv.