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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

de la production. Ah ! les femmes opulentes qui régnent sur les centres manufacturiers peuvent beaucoup pour les femmes pauvres qui y travaillent. Les manufacturiers ont aujourd’hui charge d’âmes. Les bons sentiments du cœur humain, la religion, la philanthropie, le spectacle de tant de misères, les poussent à s’en souvenir. La politique suffirait à elle seule pour leur en faire une loi !

Ne sait-on pas dès longtemps, par l’admirable exemple américain de Lowell, que la manufacture peut devenir elle-même un instrument de moralisation ? Cette grande ville manufacturière, qui réunit presque toutes les industries, est comme une Sparte industrielle, chrétienne et vertueuse. La sévérité des mœurs, tempérée par d’honnêtes distractions, n’y a d’égal que le tranquille bonheur des milliers de femmes et de jeunes filles qui prennent part aux travaux. Charles Dickens lui-même, le grand romancier, qui a deux haines éloquentes, le manufacturier égoïste, exploiteur d’hommes, et le maître de pension, exploiteur d’enfants, en a été frappé, ému. La manufacture rurale en Angleterre même présente depuis longtemps quelques excellents modèles en ce genre. Toute une population d’ouvriers et d’ouvrières trouve dans les vastes et populeux établissements fondés par MM. Greg, par les Ashworth ou les Ahston, tout à la fois l’école, l’atelier d’apprentissage, le cabinet de lecture, la chapelle et jusqu’aux soirées récréatives. Ce sont de petites républiques régies paternellement[1].

Quand mettrons-nous notre patriotisme à imiter de pareils modèles, au lieu de lutter de jalousie avec nos rivaux industriels ? Soyons jaloux de ces libres institutions philantropiques. La France cite quelques essais, entrepris en grand et d’une manière encore plus directe,

  1. Études sur l’Angleterre, par Léon Faucher. T. I. (Manchester.)