Page:Baudrillart - La Liberté du travail, l’association et la démocratie.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
292
LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

les décrets du temps ? Elle a envahi le coton et la laine ; elle gagne la soie. L’industrie lyonnaise fera-t-elle une place plus grande à la fabrique rurale que les établissements de tissage et de filature pour la laine et le coton ? Des circonstances toutes spéciales peuvent le faire augurer. Empêcheront-elles le triomphe de la grande manufacture dans de vastes proportions ? Nous en doutons extrêmement. Les avantages de la manufacture, quant à la réduction des frais généraux et à la production abondante, sont immenses. Rien ne saurait décider les capitaux et l’esprit d’entreprise à y renoncer. Nos derniers pas dans la voie de la liberté commerciale poussent vers l’emploi de tous les moyens de production économiques qui peuvent permettre de lutter, comme on dit, à armes égales avec l’étranger. N’est-ce pas du sein des localités dans lesquelles on emploie encore les métiers à la main que sont parties les plaintes les plus amères, les seules peut-être qui aient quelque fondement, sur les conséquences des derniers traités de commerce ?

Si l’agglomération du travail féminin enrôlé, enrégimenté, résulte principalement de la vapeur qui, en simplifiant les tâches et en concentrant de grandes masses sur un même point, a permis l’emploi des femmes et des enfants, elle a aussi ses racines dans le passé. Elle commence avec Colbert. C’est de lui que date la première résistance du travail isolé. Colbert réussit par l’appât du haut salaire à attirer dans un seul atelier de broderie 1,000 ouvrières. Une fois enrôlées, les pauvres femmes furent prises du regret du chez soi ; elles se révoltèrent. Il fallut remplacer le directeur par une directrice qui leur permit le travail à domicile. L’inexorable organisateur n’en revint pas moins à son idée. Une dame Gilbert reçut 180,000 livres, avec des priviléges et des avantages énormes pour organiser un atelier de broderies dans un château qu’il possédait près d’Alençon. Le succès fut complet.