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DE LA LIBERTÉ DU TRAVAIL POUR LES FEMMES.

femme et de la jeune fille ? Il suffirait de citer la misère des pauvres brodeuses vosgiennes, à la merci trop souvent d’intermédiaires sans scrupules et sans pitié, condamnées à des travaux durant quatorze, quinze et même dix-huit heures, penchées sans relâche sur leur ouvrage, sujettes aux plus fréquentes et aux plus terribles maladies des yeux et de la poitrine. Les conditions hygiéniques dans lesquelles vivent les ouvrières en chambre de nos grandes villes sont presque toujours détestables. Un travail prolongé, fatigant, mal rétribué, est leur lot habituel. Comment mettre à la charge des manufactures la démoralisation de ces ramassis d’hommes, de femmes et d’enfants auxquels on ne peut, sans faire violence au langage, donner le nom de famille ? Ce n’est pas des manufactures que sortent le plus souvent ces malheureuses qui demandent leurs ressources au désordre et à la débauche, inscrites sur les registres de la police ; non, la statistique le constate ; c’est le plus souvent des campagnes et du sein du travail isolé ne fournissant pas de quoi vivre à celles qu’il emploie. Croit-on par hasard l’ouvrière en chambre mieux gardée que l’ouvrière des manufactures ? M. Jules Simon, partisan du travail isolé, décrit dans une page bien sentie les tentations qui l’assaillent de toutes parts. Il est bon d’ailleurs de renvoyer, avec le généreux écrivain si bien inspiré dans son éloquente revendication de la famille ouvrière, « la femme auprès du foyer, la mère auprès du berceau ; » il est bien de souhaiter avec lui « que le chef de la famille puisse exercer la puissance qu’il tient de Dieu. » Mais, on l’a répondu[1] avant nous, où sera le remède, si ce foyer est sans flamme, si ce berceau n’est qu’une planche nue, si ce délégué de Dieu préfère au froid grenier, à la cave humide, le cabaret avec son poêle bien entretenu, son gaz étincelant ; si enfin les leçons murmu-

  1. Mme Mary Meynieu, Journal des Économistes. juillet 1860.