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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

temps plus ou moins rapproché, de plus de moitié peut-être le nombre des satineuses, plieuses et brocheuses. Les machines agricoles remplacent déjà la femme pour la moisson, la fenaison, le battage du lin et du chanvre. On prêche le mariage aux jeunes filles. La dignité, la possibilité de vivre, presque interdite à la femme isolée, leur vocation naturelle, les y poussent. Conseil excellent, mais peu facile à concilier avec l’existence d’armées de 500 ou de 600,000 hommes ! La nature n’avait pas deviné, dans son imprévoyance, les armées permanentes. Elle a fait naître les sexes en nombre égal. Ne cite-t-on pas tel village où il y a sept jeunes filles contre un jeune homme ? Les garçons émigrent, vont à la ville, écoutent la prudence ou le libertinage, qui leur conseillent de ne pas se marier, alors même qu’ils ne font pas partie de l’armée. Ces jeunes filles, condamnées au célibat, que deviendront-elles ? Elles n’ont point un travail assez rémunéré pour leur assurer l’indépendance ; elles rencontrent au nombre de leurs séducteurs ces mêmes soldats et ces mêmes ouvriers qu’elles auraient pu avoir pour maris.

Cette main-d’œuvre misérable a contribué, nous le savons, au bon marché d’articles de toilette, dont quelques-uns sont des merveilles, dont d’autres sont d’une utilité courante. Mais ne craignons pas de le dire un tel bon marché est maudit. Le vrai bon marché est la fortune du pauvre. S’il naît dans les privations et dans les larmes, il doit perdre jusqu’à son nom.

La manufacture s’offre à elles comme un refuge. Chaque jour elles s’y enrôlent. Elles y trouvent un salaire qui n’est pas toujours suffisant pour les faire vivre, mais qui est beaucoup plus élevé. Ici s’élève un nouveau grief. On se plaint que cette augmentation de salaire soit achetée au prix de la santé, de la moralité de la famille, cette pierre angulaire des sociétés. Ces accusations sont-elles fondées, et jusqu’à quel point le sont-elles ? Le régime ma-