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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

affirme qu’il y aura toujours des pauvres parmi nous. Mais cette pauvreté ne peut-elle être atténuée chez ceux qui en souffrent ? En second lieu, est-il permis de conclure de la pauvreté individuelle, née de circonstances accidentelles ou fruit volontaire du désordre, au paupérisme qui atteint fatalement des catégories entières, à la misère endémique et héréditaire qui frappe des générations successives ? Non assurément, et contre une telle interprétation donnée au christianisme la conscience humaine ne protesterait pas moins énergiquement que l’économie politique.

Ces réflexions s’appliquent aussi aux associations en vue de consommer. Nous y rencontrons de plus un sentiment qu’il n’importe pas moins de ménager et de développer que celui de la responsabilité ; nous voulons parler du sentiment de la famille. Une forme de l’association qui désorganiserait au lieu de le fortifier ce type primitif de toute association serait condamnée d’avance. Dans la critique toujours si vraie qu’il a faite de la république de Platon, Aristote remarquait déjà que les affections ne constituent pas un mobile de production moins puissant que l’intérêt égoïste. Allons plus loin il arrive souvent que le pur égoïsme préfère les jouissances immédiates, les satisfactions brutales, même suivies de privations, aux résultats heureux, mais éloignés de la prévoyance et de l’épargne. Le moi quand rien n’est là pour le soutenir et l’ennoblir en l’élargissant, vit beaucoup dans le présent, très-peu dans l’avenir. Il se jette sur le plaisir comme sur une proie assurée, aimant mieux s’étourdir que de s’attrister par des privations pénibles en vue d’incertains châtiments. Ce n’est pas là, nous dit-on, la voix de la raison ; qu’importe, si c’est la loi de la nature ? Le sentiment de la famille vient en aide à ce qu’il y a dans l’égoïsme de court et d’insuffisant. En substituant à l’idée du plaisir l’idée plus haute, plus compliquée et plus morale du bonheur, il met des devoirs à la place de cette sécheresse