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L’ASSOCIATION. — ASSOCIATIONS OUVRIÈRES.

considérer l’individu isolément. Tous les philosophes du dix-huitième siècle isolent pour ainsi dire l’individu humain pour mieux l’étudier, du moins à ce qu’ils croient. Condillac isole l’homme métaphysique et en fait une statue vivante, recevant toutes ses idées du monde extérieur, sans aucun secours de la société ; Helvétius isole l’homme moral dans son moi égoïste, devenu le centre et la mesure de toutes choses ; Rousseau isole son élève le plus possible de tout contact avec ses semblables ; le sauvage, errant seul au milieu des bois, est présenté comme le type auquel doivent être ramenées toutes nos opinions pour en éprouver la vérité, toutes nos institutions pour en contrôler le mérite ; enfin, sous le nom de droit naturel, on imagine une théorie qui le plus souvent fait abstraction de la tradition, cette sociabilité dans le temps, comme l’unité de langue et d’éducation, et la puissance de l’échange, s’appliquant aux idées et aux produits, forme la sociabilité dans l’espace. Qu’y a-t-il donc d’étonnant que cette génération, nourrie des théories et des sentiments qui dominaient alors l’esprit humain, ait paru touchée des droits de l’indépendance individuelle jusqu’à oublier, jusqu’à sacrifier quelquefois ceux de l’association, sauf à se rattraper pour ainsi dire du côté d’une centralisation excessive, legs de la monarchie accru par la République ?

Depuis lors, combien de fois l’association n’est-elle pas apparue à la France comme un épouvantail ! Elle a eu peur des associations, des congrégations religieuses, peur des associations politiques et des clubs. L’association dans le travail, l’association des ouvriers dans l’industrie travaillant à leurs risques et périls, la France ne l’a entrevue également qu’au milieu du nuage de sang des journées de juin et au bruit de chutes successives. Le souvenir du socialisme pèse sur l’association comme le souvenir de la Terreur a pesé longtemps et pèse encore peut-être sur la liberté.