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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

sans rêver des transformations aussi radicales, peut revêtir plus d’une forme. Déjà, grâce au crédit, l’association des petits capitaux a pu donner à une société démocratique dont les fortunes présentent le spectacle d’un morcellement parfois extrême, une puissance de création industrielle dont l’ancienne société, aux jours les plus brillants de sa prospérité et de sa force, n’avait pas même l’idée. En face du mouvement d’agglomération qui associe les capitaux, l’isolement des individus qui travaillent, poussé au degré où il l’est, frappe comme une anomalie !

Ce n’est pas que je m’étonne qu’au point de vue de l’association, le capital ait pris et dû prendre mieux et plus vite que le travail son assiette et son équilibre. Le capital représente la force acquise, l’intelligence éprouvée, l’expérience. Ses écarts, ses écoles, ses crises même, sont les maladies d’un corps ordinairement sain et vigoureux. Il en sort plus fort, plus vivace, mieux discipliné. Il est en outre de sa nature plus mobile, plus malléable, plus susceptible de se prêter à toutes les combinaisons que les volontés individuelles engagées dans le travail. Il y a pour celles-ci un principe d’indocilité, de résistance, aussi bien dans ce qui fait leur valeur et leur dignité, que dans leurs imperfections et leurs faiblesses. Associer des individus, des personnes vivantes, c’est-à-dire pourvues de liberté et animées de passions, sera toujours une œuvre infiniment plus difficile que d’associer des valeurs.

Est-ce une raison de conclure à l’impossibilité de l’association des travailleurs ? Faut-il à l’excès réduire le champ du possible parce que des imaginations enthousiastes et des esprits abusés l’ont à l’excès étendu ? L’expérience elle-même ne le permet pas. Voyez, pour citer une espèce d’association qui n’a que des partisans, voyez les sociétés de secours mutuels. Quels progrès depuis environ vingt ans ! C’était le grain de sénevé. C’est un arbre aux rameaux vigoureux, étendus. Ne veuillez pas trop les