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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

nouveau besoin. C’est là, ce nous semble, une pensée judicieuse et véritablement politique. Il est à regretter qu’elle doive être reléguée parmi les utopies, tant que les gouvernements n’auront point assez d’empire sur les entraînements qui les poussent à dépenser pour la mettre en pratique. Quant aux ateliers nationaux, comment ne pas émettre le vœu qu’on ne recoure que le plus rarement possible à un tel mode d’assistance et en le resserrant dans les plus petites proportions ? Il faut éviter surtout cette concentration extrême d’un grand nombre d’hommes réunis sur un seul point, qui agit avec toute la puissance de l’attraction sur les autres ouvriers, et qui devient une menace pour l’ordre public. Les idées exprimées et pratiquées par Turgot, en cette matière, demeurent le meilleur enseignement et le moins dangereux des modèles, de même que l’exemple déplorable des ateliers de 1848 atteste à jamais les vices et les périls inhérents à ce mode à peine déguisé de l’assistance et de l’aumône.

Avouons-le : sous la plupart des formes qu’elle a revêtues jusqu’à présent, l’assistance publique a constitué souvent une atteinte directe à la liberté du travail. Elle prend sur le capital qui se serait converti pour une partie en rémunérations destinées au travail non assisté. Elle prend sur les salaires. Les ouvriers ne s’aperçoivent pas assez qu’ils font les frais de l’assistance, et qu’une taxe des pauvres est une taxe sur le travail libre qui ne demande rien à personne. Aussi l’aumône est-elle une forme notoirement imparfaite et à quelques égards même contradictoire de la charité. Elle a sans doute sa place nécessaire dans les relations de riche à pauvre, quoique là aussi elle doive être éclairée et bien dirigée. Mais on peut dire que sur une grande échelle elle attaque même les pauvres. C’est la substance du travail se dévorant elle-même. Quant aux effets sur l’âme du travailleur, ils portent une atteinte