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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET L’ASSISTANCE.

ne doit point faire la charité. En fait, on ajoute qu’il s’en acquitte toujours plus mal que les individus, N’est-ce pas là une double erreur ? Et d’abord il est étrange de reconnaitre à l’individu le droit et le devoir d’exercer la charité et de les dénier à l’État. L’État n’est point, comme on le répète si souvent, une vague et sèche abstraction : il est la représentation vivante de la société ; il en résume la pensée, il en exerce l’action. Gardien avant tout de la sécurité, n’est-il que cela ? De même que dans ses relations avec les puissances du dehors, il est de son devoir de se montrer soucieux de la dignité du pays, de même dans ses rapports avec les citoyens, il ne lui est pas interdit d’avoir un cœur sympathique aux souffrances dont il est témoin. On prétend que l’impôt prélevé pour l’exercice de la charité légale dépouille les uns en faveur des autres. L’argument est sans portée dans un pays où l’impôt est consenti et où l’élection des législateurs dépend des contribuables.

Mais la charité est-elle seulement un droit pour la société, n’est-elle pas aussi un devoir ? Oui, sans doute, s’il y a des misères que l’action collective est seule en état de soulager. La charité privée a ses lenteurs, ses incapacités ses ressources d’ailleurs sont assez bornées et inégalement réparties. Il y a des maux pressants, subits, qui frappent par masses, comme les crises industrielles très-intenses, comme les incendies et les inondations qui atteignent tout un département. Ces maux veulent des remèdes prompts et étendus. Attendre que la charité privée ait pris ses mesures, n’est-ce pas consentir à ce que des malheureux souffrent et meurent dans l’intervalle ? Ils devaient être prévoyants, dites-vous. Eh sans doute ! Mais, dans le nombre, ne comptez-vous pour rien les hommes jeunes à qui le temps a manqué, les hommes mûrs à qui la chance a fait défaut, ceux que des pertes ont ruinés, ceux qui ne disposent que de ressources trop