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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET L’ASSISTANCE.

cée reste la justice ; la charité forcée perd jusqu’à son nom. C’est de toute évidence s’il s’agit de rapports purement individuels. Voici un malheureux qui me demande quelque secours. Son dénûment est profond, immérité. De mon côté je suis riche, et, pour ajouter à la force des circonstances, je connais celui qui implore ma pitié : je suis même son obligé. Que si je refuse de le secourir, on criera à la dûreté de cœur, à l’ingratitude, on dira que je manque odieusement à la charité. Est-ce à dire que cet homme aura le droit de me l’imposer ? Pourra-t-il s’armer de la force pour la réclamer ? Non, et toute tentative de ce genre serait justement punie. Permis au juge de s’associer comme homme à l’opinion publique qui blâme ma dureté, mais il devra comme juge prendre parti pour moi et châtier la simple menace faite à ma liberté.

S’il s’agit de relations, non plus d’individu à individu, mais de rapports de l’individu avec la société, avec l’État, les choses changent-elles de nature ? Et pourquoi en changeraient-elles  ? Si le droit à l’assistance était, comme on l’a dit, un droit véritable, il pourrait être revendiqué par la force contre ceux qui refusent d’y donner satisfaction. Alors mon bien ne m’appartient plus, il appartient à tous ceux qui le demandent en arguant qu’ils en ont besoin. Quiconque possède est a la merci de quiconque ne possède pas, sauf à l’individu dessaisi à faire valoir à son tour son droit à être assisté. Il ne sert de rien d’alléguer, nous le répétons, que ce droit ne sera pas exercé de l’individu à l’individu, mais de l’individu à la société. La société est un être collectif, et l’État qui la représente n’a pas la puissance de changer le caractère d’une injustice.

Le droit à l’assistance et la propriété sont incompatibles[1]. Si l’une est une vérité et un bienfait, l’autre est une erreur et un fléau.

  1. C’est ce qu’a parfaitement démontré P.-J. Proudhon dans