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LIBERTÉ DES THÉÂTRES

traire, quand il s’agit de sujets distingués, atteignant à des taux de rétribution tels qu’un seul individu perçoit pour une seule année une somme égale à celle que le budget distribue à deux ou trois maréchaux de France et à quinze professeurs de la Sorbonne ?

On ne s’étonnera pas, d’ailleurs, que le privilége n’ait pas produit de meilleurs fruits, si l’on songe non-seulement à ce qu’il a d’éternellement contraire à l’esprit de perfectionnement, mais aux manières si diverses de le rançonner dont disposent les gouvernements qui le concèdent. Soumettre les théâtres à un impôt en faveur des hospices, n’est-ce pas, quelles que soient les raisons qu’on allègue en faveur de ce tribut que le plaisir, dit-on paye à la charité, n’est-ce pas reprendre d’une main aux théâtres subventionnés ce qu’on leur accorde de l’autre ? Plusieurs théâtres ont soutenu, et nous pourrions citer notamment l’habile et spirituel directeur M. Harel, que c’était tout juste leur bénéfice qu’on leur enlevait de la sorte. La charité bien entendue devrait d’abord, ce semble, ne pas forcer les gens à faire faillite. Sous prétexte de secourir les hôpitaux, malgré moi, avec mon argent, je demande de ne pas être mis en état d’être obligé d’aller moi-même y solliciter une place et y mourir. Un autre abus véritablement ruineux qui résulte en grande partie du régime du privilége est l’abus des billets de faveur, dont M. Vivien, dans ses Études administratives, évalue à plus d’un million le montant annuel dans les théâtres de Paris. Comment un théâtre bien appris pourrait-il refuser ces billets à une administration tutélaire et à tous ceux qui ont une puissance quelconque de grossir ou de diminuer le chiffre de l’allocation ? N’est-ce pas pourtant aussi un dur impôt ? Comment n’en pas voir un autre enfin dans cette obligation inconnue en Italie, en Angleterre et ailleurs, de jouer pendant toute l’année ? Deux ou trois théâtres seulement en sont exempts à Paris pendant trois mois, faveur qu’ils