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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

grossir leurs profits au détriment des salaires et qu’ils y réussiraient assez longtemps peut-être ? Qu’on ne le nie pas c’est un fait acquis à l’histoire que l’extrême difficulté qu’ont éprouvée les ouvriers, aux époques par exemple de dépréciation monétaire et d’élévation du prix des choses, à obtenir une augmentation, surtout une augmentation proportionnelle à leur ancienne rétribution quotidienne. Si l’intérêt des ouvriers n’était pas, d’un autre côté, balancé par celui des entrepreneurs, une tendance à rançonner le capital, sans tenir compte des charges qu’il supporte et des limites dans lesquelles l’action de la concurrence renferme ses bénéfices, ne se manifesterait-elle pas avec la même énergie ? De l’équilibre de ces deux tendances résulte le taux vrai des salaires.

On a prétendu que, pour arriver à une augmentation de salaires justifiée par l’état du marché, l’entente préalable des ouvriers n’est point nécessaire, attendu que si un ouvrier n’est pas content de son salaire, il n’a qu’à faire ses conditions à l’entrepreneur. Mais comment ne pas voir le peu d’efficacité de cette action isolée ? On a soutenu qu’il peut aller dans une autre maison. C’est oublier que les conditions y seront vraisemblablement les mêmes et que toutes les places seront probablement prises. On a dit enfin qu’il lui est loisible de changer d’état. Ces changements d’état sont d’une merveilleuse facilité sur le papier ; dans la réalité, c’est tout autre chose. Qu’ils essayent donc de changer d’état du jour au lendemain, ceux qui donnent ce conseil aux ouvriers, souvent bien plus difficile à suivre pour des travailleurs ne sachant faire qu’une chose !

Le principe d’égalité n’autorise pas moins que le principe de liberté le droit des ouvriers à former de pacifiques coalitions. Ce n’est point un socialiste, c’est un économiste, le premier de tous, Adam Smith, qui a parlé de la coalition tacite et permanente des entrepreneurs, rendue facile par leur petit nombre, pour n’élever les salaires