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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

ne faisait aucunement mystère de ces souffrances probables en proclamant la réforme. Chez nous, il n’est pas un économiste qui n’ait annoncé ces difficultés transitoires[1]. Tous, en faisant allusion à la nécessité de déplacer parfois un capital engagé dans des voies peu productives, ont répété ces paroles « La dépréciation d’une partie du capital est un mal inévitable. En toutes choses, nous ne pouvons nous engager dans les voies de l’erreur impunément. Mais si cette perte est certaine, qu’est-elle comparée aux pertes incessamment renouvelées que le système prohibitif cause à la société ? Qu’est-elle, comparée aux profits annuels du système de liberté ? »

Mais avant tout, je ne craindrai pas de m’adresser à la mémoire de nos manufacturiers. Est-ce qu’ils ont reculé devant la crainte de provoquer maintes fois eux-mêmes des changements bien plus pénibles pour la masse des travailleurs ? N’ont-ils pas introduit dans leurs manufactures de puissantes machines qui mettaient par milliers les ouvriers sur le pavé ? Ils souffraient même que ces transitions eussent lieu brusquement, sans la moindre préparation. Un jour des masses d’ouvriers se rendaient à leur ouvrage. Ils apprenaient que leur place était prise. Un gigantesque appareil, mu par la vapeur, évinçait ces ouvriers expropriés de leur travail pour cause d’utilité publique, sans indemnité préalable. Le plus souvent le mal se réparait. Les ouvriers reprenaient leur place en plus grand nombre, et presque toujours avec des salaires plus élevés. Quelquefois pourtant des classes entières de travailleurs se trouvèrent ruinées. Vous le savez, pauvres

  1. La facilité de la transition d’un régime à un autre depuis le traité de commerce avec l’Angleterre a dépassé toutes les prévisions favorables et confondu les alarmantes prédictions des protectionnistes aujourd’hui convertis, pour la plupart, à de plus libérales doctrines par l’expérience.