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LA LIBERTÉ DU COMMERCE ET LES OUVRIERS

nous autres citoyens français, 84 millions pour faire autre chose ?

Nierez-vous après cela que la masse du travail national et dès lors de la classe ouvrière ne soit intéressée à ce que la concurrence extérieure stimule l’industrie indigène ? Nous y reviendrons ; car nous sommes ici au cœur d’une question dont l’importance populaire est immense. Mais abordons la question des transitions.

Est-on dans le vrai quand on allègue ce qu’il y a de pénible dans la transition du régime de prohibition à un régime plus libéral pour exciter les ouvriers contre ce genre de réformes ? N’est-ce pas par trop oublier l’histoire de faits analogues ? Faut-il donc rappeler les doléances qu’a fait naître l’établissement des chemins de fer ? Des industries très-dignes d’intérêt, la batellerie, par exemple, et bien d’autres, n’ont-elles pas subi douloureusement le contrecoup de cette grande invention ? N’y a-t-il pas eu des transitions plus ou moins pénibles, lorsque l’imprimerie a remplacé les copistes ? N’y en a-t-il pas eu lorsque la libre concurrence s’est substituée au travail organisé en corporations  ? N’y en a-t-il pas eu lorsque l’esclavage a été aboli dans nos colonies ? Il est quelquefois au pouvoir des gouvernements d’adoucir ces difficultés de transition, il ne l’est pas de les supprimer. Il faut donc s’attendre aux réclamations bruyantes de tout intérêt atteint ou qui croit l’être ; or, se regarder comme atteint pour un intérêt, ce n’est pas nécessairement courir de graves dangers, c’est tout simplement réaliser de moindres bénéfices. Il n’est jamais entré dans l’esprit de personne que le passage du régime protecteur à un régime plus libéral s’effectuerait sans causer aucun dérangement à ceux qui s’endormaient trop sur l’oreiller de la protection, sans blesser même d’une manière plus sérieuse quelques établissements déjà malades. Le gouvernement anglais, alors que la réforme douanière s’opérait en 1816,