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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

fort arriéré d’un grand nombre de nos manufactures. Il leur a fallu de longues années pour en venir à adopter le métier renvideur, qui économise une énorme quantité de main-d’œuvre, et dont l’emploi aujourd’hui même ne s’est pas généralisé. L’absence de concurrence du dehors a d’ailleurs là aussi pour effet la création d’établissements souffreteux qui n’auraient jamais dû se fonder, puisqu’ils représentent un mauvais emploi de travail et de capital. Leur existence ne s’explique que par l’appât de la prime qu’offrait le système prohibitif à l’incapacité. Ces établissements, outre l’influence fâcheuse que leurs produits coûteusement obtenus peuvent avoir sur les prix moyens, permettent d’établir des tableaux de prix de revient d’une élévation et des tableaux de bénéfices d’une faiblesse qui sont une pure fiction pour la masse des établissements. C’est ainsi qu’on a vu en 1856 les filateurs de Normandie publier le plus curieux et le plus incroyable mémoire dans lequel il est prétendu que leur bénéfice moyen serait de 4 pour 100 et leur prix de revient de 44 pour 100 au-dessus des Anglais. Étrange illusion de l’intérêt particulier qui ne voit pas à quoi ses calculs l’exposent ! S’il fallait en croire ces calculs fabuleux, pour réaliser un bénéfice misérable de 4 pour 100, les filateurs normands auraient fait payer à leurs concitoyens, eux qui invoquaient sans cesse la magnanime raison du patriotisme, 44 pour 100 de plus qu’ils ne les auraient payés en achetant leur coton à l’Angleterre. On a peine à comprendre que la nationalité d’une chemise ou d’un mouchoir de poche puisse valoir ce prix-là. Si de plus on prenait leur calcul pour moyenne de toute la France, il se serait trouvé que le public faisait un sacrifice annuel de 92 millions pour procurer à nos filateurs un profit de 8 millions. Mais en vérité, s’il en était ainsi, ne vaudrait-il pas beaucoup mieux payer aux filateurs 8 millions pour ne rien faire, en gardant,