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LA LIBERTÉ DU COMMERCE ET LES OUVRIERS

peut ravir aux industries nationales les débouchés extérieurs sur lesquels leur existence est en partie fondée. C’est ainsi que nous avons vu, à une époque encore peu éloignée, la France frapper de droits prohibitifs l’importation des fils et tissus de lin, et porter par là un coup terrible à l’industrie linière de l’Angleterre et de la Belgique. Et les États-Unis n’ont-ils pas modifié en moins de vingt années quatre ou cinq fois leur tarif, tantôt dans un sens libéral, tantôt dans un sens prohibitif, et occasionné par ces brusques revirements de système une série de crises dans les industries en possession d’approvisionner le marché ?

Vous vous plaignez de l’accumulation dans les villes d’une énorme population ouvrière, accumulation qui, au delà d’une certaine mesure, est au plus haut point funeste aux ouvriers, en même temps qu’elle crée un danger permanent pour l’Etat ! N’est-elle pas en partie le résultat du système protecteur dans quelques grandes villes manufacturières ? Les hauts profits, assurés exceptionnellement à certaines industries, y ont fait affluer les capitaux avec une grande abondance ; comment n’auraient-ils pas eu pour effet un immense appel fait aux bras généralement occupés et disséminés dans le travail agricole ? Quelles ont été les conséquences de ce prodigieux entassement d’hommes voués à la production industrielle ? On ne le sait que trop. D’abord une concurrence désastreuse entre ouvriers. Une fois établis dans les villes, ils y ont multiplié, et, comme on l’a fait voir dans des tableaux qui, pour être parfois chargés, n’en sont pas moins foncièrement exacts, l’enfant a fait concurrence au travail du père, la femme au travail du mari. On a vu se produire ainsi des baisses de salaire, des grèves menaçantes, et par dessus tout, le renchérissement croissant des loyers et des vivres, avec cette habitation des logements insalubres, une des hontes et un des fléaux de notre civilisation que nous commençons à peine à combattre efficacement.