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LA LIBERTÉ DU COMMERCE ET LES OUVRIERS

société. Comme le remarque l’auteur de l’Examen du Système protecteur, « si quelque khan de Tartarie, dans un accès d’humeur atrabilaire, ordonnait qu’à l’avenir les ouvriers travaillassent une main liée derrière le dos, il faudrait, pour procurer à la société qui lui serait soumise une très-médiocre quantité de produits, que tout homme valide travaillât seize heures au moins par jour au lieu de dix ou douze ; cet édit sauvage ferait donc travailler plus ; il n’en serait pas moins un fléau. » Quand on veut apprécier justement, par rapport à la société, tel travail particulier ou le système qui a suscité et provoqué ce travail, il faut aller au résultat, au produit ; car au point de vue de l’intérêt social, c’est ce résultat, ce produit qui donne la mesure exacte de la valeur du travail lui-même. Le salaire, abstraction faite de la quantité monétaire par laquelle il s’exprime, le salaire représentant les moyens d’existence de l’ouvrier, n’est pas autre chose qu’une portion de ce produit total sur lequel vit la société. C’est donc en augmentant non la masse des efforts, mais celle des produits, que l’on accroîtra les ressources des travailleurs. Plus le travail sera réellement productif, plus par le fait il sera rémunéré.

« Si demain, dit encore M. Michel Chevalier, en Angleterre, une loi passait qui interdît absolument l’entrée du vin étranger, il est vraisemblable qu’on planterait des vignes dans des serres pour se procurer tant bien que mal un peu de cette savoureuse liqueur qui depuis Noé est en faveur parmi les hommes. On ferait ainsi, en Angleterre, du vin qui serait horriblement cher ; laissons de côté la qualité du breuvage. Pour en avoir seulement 100,000 hectolitres, il faudrait une prodigieuse quantité de jardiniers, sans compter les maçons et les fumistes qui construiraient et entretiendraient les serres. Le Parlement anglais se trouverait ainsi avoir provoqué beaucoup de travail. Il aurait cependant fait une très-sotte loi ; il aurait appauvri