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LA FIXATION LÉGALE DE L’INTÉRÊT

la mise en tutelle de la grande majorité du peuple français en matière d’emprunt est une mesure exceptionnelle que rien ne justifie. Il existe une foule de transactions et d’actes livrés à leur libre cours qui légitimeraient davantage une telle intervention si elle pouvait être légitimée.

Que les jurisconsultes discutent sur ce qui est matière commerciale et matière civile, la distinction n’est pas toujours facile, il s’en faut. Lorsque j’emprunte, j’ai sans doute des raisons de le faire, dans lesquelles il me semble étrange, je l’avouerai, que s’immisce le législateur par bonté d’âme. Emprunter pour améliorer son champ peut être une excellente affaire. C’est pourtant un prêt en matière civile. Ne peut-on même emprunter dans un moment de gêne et être tiré d’une position désastreuse par cet emprunt qu’en de telles conditions on n’aurait point trouvé à contracter à 5. ni même à 6 ou à 7 ? J’ai cité les monts-de-piété, qui prêtent à 8 ou 9 pour 100 à la misère. Sans cet emprunt usuraire, que seraient devenus des malheureux livrés aux conseils du désespoir et de la faim ? Ce n’est point un économiste, c’est Gerson qui a écrit « Mieux valent quelques usures légères qui procurent des secours aux indigents, que de les voir réduits par la pauvreté à voler, à dissiper leurs biens, à vendre à très-vil prix leurs meubles et leurs immeubles. » Oui certes, il vaut mieux emprunter à 10 que de vendre son lit et ses chaises au tiers du prix d’achat, ce que la loi n’empêche point, ou que de s’attaquer à la bourse du prochain ce que la loi punit.

N’est-il pas admirable qu’on veuille obtenir législativement pour le petit propriétaire gêné des conditions que le Crédit foncier ne peut assurer à ses emprunteurs, qui sont des propriétaires généralement riches ou aisés de grands ou de moyens domaines ? Aussi n’y a-t-il qu’une voix de la part des gens d’affaires, et les notaires consultés n’hésitent point à répondre que la loi est éludée à l’aide d’une