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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

prêter à plus riches qu’eux ? C’est aussi le cas des modestes rentiers de l’État.

Le commerce et la banque ! Songe-t-on que le développement de ces faits économiques suffit à lui seul pour rendre impossible toute assimilation des sociétés modernes avec l’antiquité.

Mais c’est en matière civile que l’idée de la liberté du taux de l’intérêt rencontre au nom des intérêts du pauvre et du faible le plus d’opposition.

La liberté, dit-on, serait ici pleine de dangers. L’infâme usurier s’abattrait sur nos campagnes, dévorerait la subsistance des pauvres paysans, porterait préjudice à l’agriculture nationale. Ce serait une chose immorale, affreuse. Heureusement le législateur est là pour empêcher de pareilles indignités.

Accorder la liberté de l’intérêt en matière commerciale et la refuser en matière civile, n’est-ce pas en effet se donner une admirable occasion de s’applaudir à la fois de sa hardiesse et de sa sagesse ? On se flatte de n’être point une intelligence routinière, en même temps que l’on se sépare de ces économistes radicaux qui ne savent point s’arrêter à temps, qui ne tiennent pas compte des différences les plus essentielles, tant la logique de leur principe les emporte, tant leur absolu et éternel laissez faire, laissez passer les rend aveugles ! Que le commerçant soit libre de discuter les conditions de l’emprunt qu’il contracte, c’est bien ; il sait ce qu’il fait. L’argent, pour lui, est une marchandise ; mais en matière civile il n’en est pas de même. La loi doit prévoir pour les imprévoyants, lier les mains aux indignes, protéger les incapables.

Nous opposons à cette prétention bienveillante deux réponses : 1° La loi limitative du taux de l’intérêt manque son but ; elle est éludée de vingt manières ; le mal qu’on signale existe déjà, et la législation actuelle tend à l’aggraver, bien loin d’en diminuer l’intensité et l’étendue ;