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LA LIBERTÉ DU TRAVAIL ET LA DÉMOCRATIE.

pour dettes. « Les besoins du commerce, disait M. Laffitte, ne réclament point la contrainte par corps, elle ne s’exécute qu’au profit de l’usure contre de malheureux pères de famille et quelques jeunes imprudents. » C’était aussi l’avis d’un grand homme qui ne reculait pas pourtant devant les restrictions à la liberté, Napoléon Ier lui-même. « Il ne faut pas, disait-il en plein conseil d’État, par une simple formule et sous le prétexte de la faveur due au commerce, renverser à l’égard de tous ce principe salutaire du droit civil, que celui dont le patrimoine suffit pour satisfaire à ses engagements, doit être exécuté dans ses biens et ne peut pas être contraint dans sa personne. » Un jurisconsulte estimable, M. Bayle-Mouillard, a démontré que la contrainte frappe, contre le vœu de la loi, des dettes qui ne sont point commerciales. Voici à peu près le fonds de son argumentation. Tout le monde sait que le commerçant qui ne peut payer ses dettes se déclare en faillite, et se met ainsi à l’abri de la prison. Quelles sont donc les personnes qui tombent sous le coup de l’emprisonnement pour dettes ? Ce ne sont pas celles qui, ayant acheté pour vendre, ne payent pas leur achat, ce sont celles qui ont emprunté. Mais l’emprunt d’une somme d’argent n’est point un acte commercial ; la loi défend d’engager sa liberté contre le prêt d’une somme d’argent. Ces personnes trompent donc le vœu de la loi ; elles supposent un acte commercial, tel que l’envoi d’une somme d’argent d’un lieu à un autre, et elles souscrivent ce qu’on appelle une lettre de change, genre d’obligation, auquel la loi donne la sanction de l’emprisonnement. Mais la loi entend que cette obligation soit un acte véritablement commercial, et qu’elle ne cache pas un simple prêt. Si l’on supprimait l’emprisonnement pour dettes commerciales, le prêteur n’ayant plus la ressource de la prison, ne laisserait pas pour cela ses fonds dans l’oisiveté, il examinerait le caractère moral des emprunteurs ; il agirait comme le fabricant à l’égard du mar-