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RÉFORMES ÉCONOMIQUES.

La question est toujours de savoir si et jusqu’à quel point le législateur doit supposer l’incapacité des citoyens pour les mettre en tutelle, si et jusqu’à quel point le régime préventif doit être préféré au régime répressif. Par exemple, les petites coupures sont un appât pour les petits capitaux. Le législateur est enclin à y voir une tentation funeste pour les faibles et les ignorants qui se laisseraient leurrer par des spéculations de mauvais aloi. L’économiste répond que sans l’association des petits capitaux les grandes affaires sont impossibles, l’industrie est privée de son arme la plus puissante, la prospérité publique d’un de ses plus indispensables éléments, et qu’enfin ce n’est point par la tutelle que les citoyens apprennent à se gouverner eux-mêmes, à prévoir, à calculer les risques. Grâce à cet excès de défiance qui va contre son but, leur inexpérience se révèle tantôt par une timidité préjudiciable, tantôt par des accès de témérité qui ne comptent plus avec la raison et qui se font jour par toutes les issues qui restent ouvertes aux folies de la spéculation, à peu près comme on voit les hommes faibles et timides, dans le train ordinaire de la vie, ne plus connaître de bornes, une fois lancés hors de leur naturel.

Il est temps que le public français fixe son attention trop distraite ailleurs sur ces deux points, c’est que, d’une part, il subsiste encore des lacunes graves et regrettables, au point de vue des libertés économiques, qu’il est d’un intérêt vital pour l’industrie et même pour la société française de voir disparaître ; c’est que, d’un autre côté, ces libertés, après tout, ne sont pas d’une espèce toute différente que les autres, si elles s’appliquent à d’autres matières. Au fond, il s’agit toujours de savoir si les Français doivent être tenus pour incapables de se diriger eux-mêmes, supposition dont l’effet inévitable serait de les rendre en effet hors d’état de se conduire. Avec quelque prudence qu’on procède, c’est vers la liberté qu’il faut