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LE CURÉ LABELLE

À la longue, ce torrent d’émigration finirait par emporter la patrie canadienne. D’ailleurs, les visées des États-Unis sur les pays du Nord n’étaient un mystère pour personne. Ils espéraient annexer un jour à leur confédération ces vastes contrées ne tenant plus à l’Angleterre que par un fil. Les Américains ne se gênaient guère pour annoncer que de gré ou de force le pavillon étoilé flotterait un jour sur les rives du grand fleuve, porte véritable de l’Amérique du Nord.

Cette pensée contristait tous les Canadiens français. Avoir lutté si longtemps contre les Anglais et souffert pendant un siècle pour retomber sous le joug des Yankees leur semblait un malheur suprême.

Le curé de Saint-Jérôme, en vrai patriote chrétien, s’effrayait plus que tout autre de cette perspective fâcheuse. Dès les premiers temps de son arrivée, il se faisait l’apôtre de la colonisation à l’intérieur et s’écriait : « Nous resterons Canadiens et enfants de saint Jean-Baptiste — patron national du Canada — si nous voulons nous en donner la peine. Pourquoi s’en aller aux États-Unis chercher une fortune problématique, tandis que nous avons la fortune sous la main ? Nous sommes un peuple de défricheurs et de laboureurs. Les terres vacantes de nos forêts et de nos vallées sont une mine d’or bien plus sûre que celles de la Californie ; il faut seulement les cultiver. Vous gagnerez autant qu’aux États-Unis, vous ne risquerez pas votre moralité et votre foi,