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PÉTITION

puisées dans ma solitude. Que le mot de morale dans ma bouche ne vous étonne point : le malheur nous inspire quelquefois ; et, quoique dans notre triste position il faille abjurer tout sentiment de pudeur, une longue expérience et la fréquentation des hommes, réveillent en nous des sensations parfois si pénibles, qu’elles nous laissent deviner la vertu en nous dégoûtant de nous-mêmes et de ceux que nous recevons.

L’ordonnance nous met au séquestre et nous prive de la vue du soleil qu’on n’avait jamais disputé qu’aux malfaiteurs. C’est un fâcheux privilège que de vivre sous l’autorité de monsieur Mangin ! Ses prédécesseurs, du moins, avaient senti que des femmes dont l’industrie fut tolérée jusqu’à ce jour, et dont la faiblesse a été souvent protégée par eux contre la brutalité, ne pouvaient tout à coup devenir coupables au point qu’on dût mettre le comble à leur infortune, en les arrachant à la liberté ; aujourd’hui, la dépravation des filles publiques paie pour l’immoralité de certains hommes ; l’aridité du cœur a trouvé grâce devant les agents de la police ; mais les vices qui sont nés d’une mauvaise éducation, d’une nécessité urgente, parfois de la coquetterie, de la paresse même, ceux-là sont punis de la prison, et d’une prison perpétuelle : c’est l’absolu du pouvoir ; et mieux que personne, vous le savez, messeigneurs, l’absolu en toutes choses est bien près du ridicule.