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JOLIS PÉCHÉS

côte à côte, à peu près comme les nymphes de Diane rafraîchissant leurs attraits dans des eaux embaumées de mille essences et de mille parfums, Victorine, après avoir avalé un verre d’Alicante et tordu le cou à deux ou trois meringues ambrées, s’exprima de cette manière :

— Je ne viserai pas au bel esprit, à l’ambition des mots, comme mademoiselle Mariquita Farfanne, se mit-elle à dire avec une douce ironie : mon éducation a été trop négligée, et d’ailleurs la nature m’a accordé assez de tact pour savoir distinguer que la recherche et les prétentions étaient en tout un défaut très ridicule. J’irai donc droit au fait, et vous apprendrez de suite que j’étais la fille d’une marchande de poupées et de joujoux à Toulouse ; mon enfance, mon adolescence ne signifient rien ; j’étais une grande et jolie folle qui, jusqu’à l’âge de seize ans, n’entendait malice à rien, et préférait un polichinelle ou une belle poupée aux hommages les plus flatteurs ; mais le sort réservait à mon innocence le destin le plus singulier.

Mes parents ayant décidé que j’irais à Paris dans une maison de lingerie, pour y apprendre le commerce, on m’empaqueta dans la diligence, sous les auspices du conducteur, avec un trousseau assez étoffé. Le hasard voulut que j’eusse à mes côtés un employé du trésor qui revenait de l’armée d’Espagne. Du moment qu’il m’aperçut, ses yeux ne quittèrent plus les miens ; j’avais