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songeur avec ses ombres diffuses mêlées de transparences fantastiques. Les nymphes, les déesses, les apparitions gracieuses, burlesques ou terribles, viennent des tableaux, des tapisseries, des statues étalant leur nudité mythologique dans les niches, ou des magots grimaçant sur des étagères.

Il en est de même pour les extases olfactives qui vous transportent en des paradis de parfums où des fleurs merveilleuses, balançant leurs urnes comme des encensoirs, vous envoient des senteurs d’aromates, des odeurs innomées d’une subtilité pénétrante, rappelant le souvenir de vies antérieures, de plages balsamiques et lointaines et d’amours primitives dans quelque O’Taïti du rêve. Il n’est pas besoin de chercher bien loin pour trouver dans la chambre un pot d’héliotrope ou de tubéreuse, un sachet de peau d’Espagne ou un châle de cachemire imprégné de patchouli négligemment jeté sur un fauteuil.

On comprend donc que, si l’on veut jouir pleinement des magies du haschich, il faut les préparer d’avance et fournir en quelque sorte les motifs à ses variations extravagantes et à ses fantaisies désordonnées. Il importe d’être dans une bonne disposition d’esprit et de corps, de n’avoir ce jour-là ni souci, ni devoir, ni heure fixée, et de se trouver dans un de ces appartements qu’aimait Baudelaire et qu’Edgar Poe, dans ses descriptions, meuble avec un confort poétique, un luxe bizarre et une élégance mystérieuse ; retraite dérobée et cachée à tous, qui semble attendre l’âme aimée, l’idéale figure féminine, celle qu’en son noble langage Chateaubriand appelait la sylphide. En de telles conditions, il est probable et même presque certain que les sensations naturellement agréables se tourneront en béatitudes, ravissements, extases, voluptés indicibles, et bien supérieures aux joies grossières promises aux croyants par Mahomet dans son paradis