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un empoisonneur pour avoir décrit la pharmacie toxique des Borgia. Cette méthode n’est pas neuve, mais elle réussit toujours, et certaines gens affectent de croire qu’on ne peut lire les Fleurs du mal qu’avec un masque de verre, comme en portait Exili lorsqu’il travaillait à sa fameuse poudre de succession. Nous avons lu bien souvent les poésies de Baudelaire, et nous ne sommes pas tombé mort, la figure convulsée et le corps tigré de taches noires, comme si nous avions soupé avec la Vannozza dans une vigne du pape Alexandre VI. Toutes ces niaiseries, malheureusement nuisibles, car tous les sots les adoptent avec enthousiasme, font hausser les épaules à l’artiste vraiment digne de ce nom, qui est fort surpris lorsqu’on lui apprend que le bleu est moral et l’écarlate indécent. C’est à peu près comme si l’on disait : la pomme de terre est vertueuse et la jusquiame est criminelle.

Un morceau charmant sur les parfums les distingue en diverses classes, éveillant des idées, des sensations et des souvenirs différents. Il en est qui sont frais comme des chairs d’enfant, verts comme des prairies au printemps, rappelant les rougeurs de l’aurore et portant avec eux des pensées d’innocence. D’autres, comme le musc, l’ambre, le benjoin, le nard et l’encens, sont superbes, triomphants, mondains, provoquent à la coquetterie, à l’amour, au luxe, aux festins et aux splendeurs. Si on les transposait dans la sphère des couleurs, ils représenteraient l’or et la pourpre.

Le poëte revient souvent à cette idée de la signification des parfums. Près d’une beauté fauve, signare du Cap ou bayadère de l’Inde égarée dans Paris, qui semble avoir eu pour mission d’endormir son spleen nostalgique, il parle de cette odeur mélangée « de musc et de havane » qui transporte son âme aux rivages aimés du soleil, où se découpent