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de Baudelaire se formule en ayant l’air d’analyser seulement celle de l’auteur américain :

« La poétique est faite, nous dit-on, et modelée d’après les poëmes. Voici un poëte qui prétend que son poëme a été composé d’après sa poétique. Il avait certes un grand génie et plus d’inspiration que qui que ce soit, si par inspiration on entend l’énergie, l’enthousiasme intellectuel et le pouvoir de tenir ses facultés en éveil. Mais il aimait aussi le travail plus qu’aucun autre ; il répétait volontiers, lui un original achevé, que l’originalité est chose d’apprentissage, ce qui ne veut pas dire une chose qui peut être transmise par l’enseignement. Le hasard et l’incompréhensible étaient ses deux grands ennemis. S’est-il fait, par une vanité étrange et amusante, beaucoup moins inspiré qu’il ne l’était naturellement ? A-t-il diminué la faculté gratuite qui était en lui pour faire la part plus belle à la volonté ? Je serais assez porté à le croire ; quoique cependant il faille ne pas oublier que son génie, si ardent et si agile qu’il fût, était passionnément épris d’analyse, de combinaison et de calculs. Un de ses axiomes favoris était encore celui-ci : « Tout dans un poëme comme dans un roman, dans un sonnet comme dans une nouvelle, doit concourir au dénoûment. Un bon auteur a déjà sa dernière ligne en vue lorsqu’il écrit la première. » Grâce à cette admirable méthode, le compositeur peut commencer son œuvre par la fin et travailler, quand il lui plaît, à n’importe quelle partie. Les amateurs du délire seront peut-être révoltés par ces cyniques maximes ; mais chacun en peut prendre ce qu’il voudra. Il sera toujours utile de leur montrer quels bénéfices l’art peut tirer de la délibération et de faire voir aux gens du monde quel labeur exige cet objet de luxe qu’on nomme poésie. Après tout, un peu de charlatanerie est toujours permise au génie,