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de l’art, tout objet subît une métamorphose qui l’appropriât à ce milieu subtil, en l’idéalisant et en l’éloignant de la réalité triviale. Ces principes peuvent étonner quand on lit certaines pièces de Baudelaire où l’horreur semble cherchée comme à plaisir ; mais qu’on ne s’y trompe pas, cette horreur est toujours transfigurée par le caractère et l’effet, par un rayon à la Rembrandt, ou un trait de grandesse à la Velasquez qui trahit la race sous la difformité sordide. En remuant dans son chaudron toute sorte d’ingrédients fantastiquement bizarres et cabalistiquement vénéneux, Baudelaire peut dire comme les sorcières de Macbeth : « Le beau est horrible, l’horrible est beau. » Cette sorte de laideur voulue n’est donc pas en contradiction avec le but suprême de l’art, et des morceaux tels que les Sept Vieillards et les Petites Vieilles ont arraché au saint Jean poétique qui rêve dans la Patmos de Guernesey cette phrase, qui caractérise si bien l’auteur des Fleurs du mal : « Vous avez doté le ciel de l’art d’on ne sait quel rayon macabre ; vous avez créé un frisson nouveau. » — Mais ce n’est, pour ainsi dire, que l’ombre du talent de Baudelaire, cette ombre ardemment rousse ou froidement bleuâtre qui lui sert à faire valoir la touche essentielle et lumineuse. Il y a de la sérénité dans ce talent si nerveux, si fébrile et si tourmenté en apparence. Sur les hauts sommets, il est tranquille : pacem summa tenent.

Mais, au lieu d’écrire quelles sont les idées du poëte à ce sujet, il serait bien plus simple de le laisser parler lui-même :

« … La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même ; elle ne peut pas en avoir d’autre et aucun poëme ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poëme, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poëme.