Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ne joue-t-il pas la grâce sauvage et baroque de l’enfance ? »

Il ne faudrait pas pousser cette idée trop loin. Baudelaire, lorsqu’il n’a pas à exprimer quelque déviation curieuse, quelque côté inédit de l’âme ou des choses, se sert d’une langue pure, claire, correcte et d’une exactitude telle, que les plus difficiles n’y sauraient rien reprendre. Cela est surtout sensible dans sa prose, où il traite de matières plus courantes et moins abstruses que dans ses vers, presque toujours d’une concentration extrême. Quant à ses doctrines philosophiques et littéraires, elles étaient celles d’Edgar Poe, qu’il n’avait pas encore traduit, mais avec lequel il avait de singulières affinités. On peut lui appliquer les phrases qu’il écrivait sur l’auteur américain dans la préface des Contes extraordinaires : « Il considérait le progrès, la grande idée moderne comme une extase de gobe-mouches, et il appelait les perfectionnements de l’habitacle humain des cicatrices et des abominations rectangulaires. Il ne croyait qu’à l’immuable, qu’à l’éternel et au self-same, et il jouissait, cruel privilége, dans une société amoureuse d’elle-même, de ce grand bon sens à la Machiavel qui marche devant le sage comme une colonne lumineuse, à travers le désert de l’histoire. » — Baudelaire avait en parfaite horreur les philanthropes, les progressistes, les utilitaires, les humanitaires, les utopistes et tous ceux qui prétendent changer quelque chose à l’invariable nature et à l’agencement fatal des sociétés. Il ne rêvait ni la suppression de l’enfer ni celle de la guillotine pour la plus grande commodité des pécheurs et des assassins ; il ne pensait pas que l’homme fût né bon, et il admettait la perversité originelle comme un élément qu’on retrouve toujours au fond des âmes les plus pures, perversité, mauvaise conseillère qui pousse l’homme à faire ce qui lui est funeste, précisément